Le secret d’Oscar
Préambule en forme d’explication
Dans la version japonaise du dessin animé, nul n’ignore qu’Oscar est une femme ; dans la version française, elle se cache d’en être une.
Ce dernier choix, bien que discutable puisque contraire au manga d’origine, paraît plus proche d’une éventuelle réalité historique. Jamais une femme, même aristocrate et fille de général, même élevée comme un garçon, même très douée pour les arts martiaux, se serait vu confier un grade quelconque dans… les Gardes-Françaises, régiment exclusivement composé de nobles, chargé de la protection du roi et de sa famille (la garde royale, dans laquelle Riyoko Ikeda enrôle Oscar, n’existait pas).
Ceci étant dit, de ce parti pris résultent quelques contradictions. La première qui m’a sauté aux yeux est le fait que Girodelle, on se demande par quel hasard ou privilège, connaît le véritable sexe d’Oscar puisqu’à l’avance, il ne se sent « pas fier de battre une femme ». Il éprouverait autant d’humiliation à devoir faire ses preuves en affrontant un adolescent de quatorze ans, lui qui en a trois ou quatre de plus et possède déjà ses galons de lieutenant.
Dans cette nouvelle, j’ai donc présupposé que Victor Clément de Girodelle, comme tout un chacun, ignore l’exacte nature d’Oscar.
Le Lieutenant de Girodelle tira machinalement sur les basques de sa veste d’uniforme et sur ses manchettes de dentelle avant de gratter à la porte de son capitaine. Il savait que celui-ci appréciait une tenue impeccable chez ses hommes. Il patienta quelques instants puis renouvela son geste. Rien ne bougeait dans les quartiers qu’Oscar de Jarjayes occupait quand il était de service à Versailles.
L’horloge de la Cour d’Honneur ne marquait pas encore huit heures. Il en était plus de quatre quand le capitaine était rentré du médianoche suivi d’un bal où il avait escorté la dauphine. Il avait encore fait le tour des gardes royaux en faction avant d’aller se coucher. Et voici que son père venait d’arriver au palais et le réclamait à cors et à cris. Le lieutenant lui avait bien suggéré de laisser son fils se reposer. En pure perte : le général exigeait de voir celui-ci séance tenante.
Girodelle gratta à nouveau à la porte blanche moulurée d’or. Toujours rien. Il n’aurait pas hésité à pénétrer dans la chambre d’un autre officier, même plus haut gradé, mais Oscar… Il ne savait pourquoi, il se sentait mal à l’aise en face de ce jouvenceau de quatorze ans qui avait triomphé de lui en duel avec tant d’allègre aisance
Si, il savait pourquoi.
Depuis leur première rencontre, celui-ci l’avait troublé. Sa remarquable beauté, sa finesse, l’élégance de son long corps délié, la blondeur lumineuse de ses cheveux, l’outremer intense de ses yeux qu’irisait le battement de cils interminables, tout dans cet adolescent racé l’avait ému comme il ne l’avait jusqu’à présent été que par des jeunes filles. Cette attirance l’avait déconcerté et il essayait depuis de l’oublier. En vain. Il se surprenait parfois, le jour, à songer à son séduisant capitaine et plusieurs rêves affolants avaient enfiévré ses nuits depuis leur combat.
Le comte savait que certains hommes préféraient des partenaires de leur sexe. Mais semblable penchant ne l’avait jamais tourmenté auparavant. A l’Ecole militaire, il avait joué, lutté et s’était baigné nu avec les autres élèves sans jamais éprouver une quelconque excitation. Alors qu’il ne se souvenait pas sans émoi d’une certaine soubrette…
Seul, Oscar possédait ce pouvoir sur lui. Il haussa les épaules, exaspéré. Le garçon était sans nul doute trop beau, beau comme une damoiselle !
D’un geste décidé, il poussa le battant. Il devenait ridicule avec cette affaire. D’ailleurs, il fallait bien qu’il aille réveiller son supérieur.
Les volets intérieurs n’avaient pas été complètement fermés et un rai de lumière éclairait la chambre. Allongé sur le lit, Oscar dormait, son corps abandonné dans une pose gracieuse, le visage dans son bras replié sous la nuque. Girodelle s’avança résolument mais son cœur battait la chamade bien qu’il en eût. Sa main levée pour secouer le capitaine s’immobilisa et, malgré lui, le comte laissa errer son regard sur son si jeune officier.
Les cheveux dorés bouclaient sur le front bombé. Les cils jetaient une ombre sur la joue doucement arrondie. Les lèvres s’entrouvraient sur un souffle imperceptible. Le cou frêle émergeait de la dentelle mousseuse du jabot dégrafé.
Un long soupir échappa au dormeur. Le mouvement du corps assoupi creusait la taille, tirait la chemise sur le buste et, soudain, Girodelle se figea. Rêvait-il ? Il lui semblait que… Un nouveau souffle souleva la poitrine. Non, il ne rêvait pas : une légère rondeur se dessinait sous la fine batiste.
Le regard du lieutenant remonta vers l’épaule étroite, examina le visage si parfait, détendu et adouci par le sommeil, la courbe tendre de la bouche. Une jeune fille ? Impensable ! Voici pourtant qui expliquerait ses tourments.
Oscar sentit-elle cette insistance ? Ses paupières frémirent ; elle cilla, s’éveilla.
« Girodelle ? Que se passe-t-il ? Un souci ? »
Agenouillé près du lit, penché en avant, celui-ci continuait à scruter ses traits avec intensité. Le capitaine se releva sur un coude.
« Lieutenant ? »
Les prunelles mordorées se rivèrent aux prunelles outremer à la recherche d’une certitude. Le comte alla pour parler, ne sut comment exprimer son doute. Alors il fixa tout uniment l’encolure de la chemise. Le rose monta aux joues d’Oscar qui, dans un geste instinctif, crispa les doigts sur son vêtement.
« Oscar…, balbutia Girodelle, vous êtes… ? Etes-vous… ? »
L’adolescent se taisait et le contemplait d’un air hautain, le défiant de pousser plus loin son interrogatoire. Le comte se décida d’un coup et opta pour une franchise à laquelle il lui semblait qu’Oscar serait sensible.
« Je vous en prie… Je vous donne ma parole d’honneur, ma parole de gentilhomme et d’officier, que, pour rien au monde, je ne trahirai votre secret… J’ai… J’ai besoin de savoir. Je deviens fou à essayer de comprendre pourquoi vous me troublez ainsi, pourquoi mes regards reviennent irrésistiblement vers vous, pourquoi vous envahissez mes rêves. »
Les joues du jeune capitaine virèrent cette fois au pourpre. Girodelle sentit qu’il hésitait.
« Je vous en prie… Oscar. », répéta-t-il.
Celui-ci soupira.
« Bien. Je me fie à vous, Monsieur. Vous avez deviné juste. Je ne porte pas l’habit de mon sexe. A ma naissance, mon père a décidé que je m’appellerai Oscar, que je serai son fils et militaire. Vous êtes bien le premier à en découvrir le vrai ! Ce qui n’est d’ailleurs pas sans m’inquiéter.
-- Je vous remercie de votre confiance et vous promets de m’en montrer digne. Mais ne vous inquiétez pas. Seule, mon… mon amitié pour vous m’a guidé vers la vérité. Celle-ci ne change rien au fait que vous êtes mon capitaine, un capitaine que je respecte et continuerai à respecter. Nous n’en reparlerons jamais plus si vous ne le souhaitez pas. »
Il tendit la main à la jeune fille qui, avec une hésitation, mit la sienne dans sa paume. Il se pencha pour effleurer ses doigts. Oscar tressaillit et soudain, désemparée, sentit la femme frémir en elle. Le comte devina cette émotion. Il leva les yeux vers le beau visage que frôlait l’ombre d’un trouble. Une folle envie le prit de poser un premier baiser d’amour sur la joue veloutée, sur les lèvres fraîches. Il se contint, assuré que, ce faisant, il perdrait à tout jamais l’estime et l’amitié d’Oscar.
Il sut également que la souffrance aiguë qui se levait dans son cœur l’accompagnerait désormais tous les jours de sa vie.
Fin
Maïlys