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- Témoignage : Rosalie Lamorlière
Rosalie dans le volume 1 :
" (...) On exigea de lui qu'il répondrait de Marie-Antoinette sur sa vie : il accepta cette effrayante responsabilité, à condition qu'on ôterait les deux gendarmes de l'intérieur du cachot, et que les clés de ce cachot seraient en sa seule puissance. Robespierre consentit a ce nouvel ordre de choses ; mais pour s'assurer, à son tour, de la discrétion et de l'entière fidélité du geôlier, le Tyran décida que Lebeau n'entrerait jamais chez la Veuve de Louis XVI, qu'en présence de l'officier de gendarmerie, déclaré responsable aussi pour sa part.
Jusqu'au malheureux événement de l'œillet, les concierges Richard avaient nourri proprement et soigneusement la Princesse : le comité de sûretégénérale fit dire à Lebeau de la réduire à deux plats d'ordinaire, et de supprimer le dessert. Ces ordres barbares furent exécutés ; mais la Reine reconnut, heureusement, que sa nourriture était restée saine, et que la main de la fidélité la préparait toujours avec bienveillance.
Rosalie, jeune fille de campagne, au service de madame Richard, était demeurée au service du nouveau concierge : et comme cette fille, douée d'un bon coeur, éprouvait pour les malheurs de la Reine la plus tendre et la plus respectueuse compassion , elle mettait tous ses soins à bien préparer les simples alimens destinés à cette Princesse.
Rosalie était un monument bien précieux pour un Historien, chargé de faire luire la clarté du jour au milieu des plus épaisses ténèbres : la Providence a conservé Rosalie. Une dame d'un très grand mérite me parlait de sa droiture, de son dévouement, de son affliction en ces jours affreux , et m'en parlait après un laps de temps de vingt-neuf années. Cette dame la croyait morte, et regrettait une si grande perte pour moi.:.. Le hasard le plus étonnant me fit, quelques mois après, découvrir ses traces. J'ai retrouvé Rosalie, pauvre, honnête et laborieuse au sein de la capitale. Je l'ai trouvée fidèle à la mémoire de la Princesse auguste , qu'elle servit durant soixante et seize jours. Elle m'a raconté les choses les plus secrètes et les plus incon nues. Elle m'a fait voir ce débris de linon conservé, qui fut, il y a aujourd'hui quarante ans, une coiffure de la Reine. Je l'ai présentée à la famille respectable qui l'avait perdue de vue depuis vingt-neuf ans, et qui l'avait connue de près a la conciergerie, sous l'administration de Lebeau et des Richard (1).
Le récit inappréciable de Rosalie arrêterait en ce moment ma narration. J'en ai formé une Notice àpart, que mon lecteur retrouvera parmi les pièces justificatives. Mon lecteur y remarquera également le récit du porte-clé Larivière, qui, après avoir mangé le pain de la Reine, au château de Versailles, se trouva premier-guichetier de service à la conciergerie , la nuit du 2 août, et ouvrit la porte de cette prison a sa Royale Maîtresse, conduite par vingt scélérats titrés.
Je reprends mon récit. Depuis le malheureux événement, que la Convention nationale appela Conspiration de l'œillet, Paris vit plusieurs fois fermer ses barrières. L'inquisition révolutionnaire, déjà si furibonde, sembla redoubler d'activité. Les visites domiciliaires se succédèrent sans intervalles. On arrêta de nouveaux milliers de suspects; et parmi ces Royalistes incarcérés se trouvèrent plusieurs des confidens ou des amis du marquis de Rougeville.
(1) La respectable Rosalie Lamorlière , placée aux Incurables de la rue de Sèvres, par Madame la Dauphine , en 1825, y languit dans les privations les plus sensibles. L'Auteur de cet ouvrage la recommande aux dames de l'ancienne Cour qui ont pleuré la Reine. (...)"
Extraits du volume 2 : "Notices historiques"
"Rosalie Delamorlière
Les dames Boze m'avaient parlé , plusieurs fois, d'une jeune fille extrêmement douce, qui, en 1793, était cuisinière à la Conciergerie, chez Madame Richard, et qui, en cette qualité, préparait le manger particulier de la Reine, et venait, deux fois par jour, le lui apporter dans sa chambre. Les dames Boze, après vingt-huit années, se rappelaient avec attendrissement les bonnes qualités de cette fille de campagne, et elles me racontaient sur ses bons procédés envers la Reine une foule de petits détails curieux, que mon devoir d'historien me portait à recueillir soigneusement.
Le hasard, ou plutôt la Providence, a permis que , dans notre immense capitale, j'aie retrouvé Rosalie. Son premier soin a été de me demander si M. Boze, peintre de Louis-Seize, vivait encore, et elle m'a montré le portrait que la fille aînée de cet artiste voulut bien faire pour elle, jadis, dans la prison.
Cette famille, aimable et respectable, en revoyant Rosalie, après vingt-neuf ans de séparation, l'a reconnue à l'instant même, et lui a prodigué, devant moi, toutes les marques de l'attachement le mieux mérité et de l'estime la plus sincère.
Je vais réunir dans un seul récit toutes les particularités, toutes les révélations précieuses que l'excellente Rosalie m'a confiées, pour être consignées dans mon ouvrage ; ces détails se sont trouvés, en tout, conformes à ce que M. Boze et ses dames m'avaient raconté, deux années auparavant.
RÉCIT DE ROSALIE.
Native de Bretouil, en Picardie.
« Je servais, en qualité de femme-de-chambre, madame Beaulieu, mère du comédien célèbre, lorsque le Roi Louis-Seize fut condamné à périr sur un échafaud. Madame Beaulieu, déjà infirme et souffrante, manqua mourir de douleur en apprenant cette condamnation , et, à tous momens, elle s'écriait : Peuple injuste, peuple barbare, un jour, tu verseras des larmes de désespoir sur la tombe d'un si bon Roi !
Madame Beaulieu mourut, peu de temps après. Son fils, alors, me donna, de confiance, à Madame Richard, concierge du palais.
J'éprouvais beaucoup de répugnance à prendre du service auprès d'un concierge de prison ; mais M. Beaulieu, qui était, comme on sait, bon royaliste, et qui allait défendre, en qualité d'avocat, et toujours gratuitement , les malheureux prisonniers du tribunal révolutionnaire , me pria d'accepter cette place, où je trouverais, me dit-il, l'occasion d'être utile à une foule d'honnêtes gens, que la Conciergerie renfermait. Il me promit de m'y venir voir le plus souvent qu'il lui serait possible, son théâtre de la Cité n'étant qu'à deux pas de là.
Madame Richard, ma nouvelle maîtresse, n'était pas aussi bien élevée que Madame Beaulieu, mais elle avait assez de douceur dans le caractère; et comme elle avait été marchande à la toilette, elle conservait dans tout son ménage et sur sa personne un grand goût de propreté, qui fesait plaisir.
A cette époque, il fallait beaucoup de présence d'esprit pour régir une vaste prison comme la Conciergerie je ne voyais jamais ma maîtresse embarrassée. Elle répondait à tout le monde en peu de paroles ; elle donnait ses ordres sans aucune confusion ; elle ne dormait que des instans ; et rien ne se passait au dedans ou au dehors, qu'elle n'en fût promptement informée. Son mari, sans être aussi propre aux affaires, était pénible et laborieux. Peu à peu je m'attachai à cette famille, parce que je vis qu'ils ne désapprouvaient point la compassion que m'inspiraient les pauvres prisonniers de ce temps-là.
Le premier d'août 1793 , dans l'après-dîner , Ma
dame Richard me dit à voix basse : « Rosalie, cette « nuit, nous ne nous coucherons pas; vous dormirez « sur une chaise ; la Reine va être transférée du Temple dans cette prison-ci. » Et aussitot, je vis qu'elle donnait des ordres pour qu'on ôtat M. le général Custines de la Chambre du Conseil, afin d'y placer la princesse. Un porte-clé fut dépêché vers le tapissier de la prison (Bertaud, logé cour de la Sainte-Chapelle). Il lui demanda un lit de sangles, deux matelas, un traversin , une couverture légère et une cuvette de propreté.
On apporta ce petit mobilier dans la chambre humide que délaissait M. de Custines. On y ajouta une table commune et deux chaises de la prison. Tel fut l'ameublement destiné à recevoir la Reine de France.
Vers les trois heures du matin, j'étais assoupie dans un fauteuil; Madame Richard, me tirant par le bras, me réveilla précipitamment, et me dit ces paroles : « Rosalie, allons, allons ; prenez ce flambeau ; les voici « qui arrivent. »
Je descendis en tremblant, et j'accompagnai Madame Richard dans le cachot de M. de Custines, situé à l'extrémité du long corridor noir. La Reine y était déjà rendue. Une quantité de gendarmes étaient devant sa porte, en dehors. Plusieurs officiers et administrateurs étaient dans l'intérieur de la chambre, où ils se parlaient bas, les uns aux autres. Le jour commençait à venir.
Au lieu d'écrouer la Reine, au greffe en vitrages, qui est à la gauche du premier vestibule, on l'écroua, dans son cachot. Cette formalité étant remplie, tout le monde se retira, et Madame Richard et moi restâmes seules chez la Reine. Il faisait chaud. Je remarquai les gouttes de sueur qui découlaient sur le visage de la Princesse. Elle s'essuya deux ou trois fois avec son mouchoir. Ses yeux contemplèrent avec étonnement l'horrible nudité de cette chambre; ils se portèrent aussi avec un peu d'attention sur la concierge et sur moi. Après quoi, la Reine, montant sur un tabouret d'étoffe, que je lui avais apporté de ma chambre, suspendit sa montre à un clou, qu'elle aperçut dans la muraille, et commença de se déshabiller pour se mettre au lit. Je m'approchai, respectueusement, et j'offris mes soins à la Reine. Je vous remercie , mafille, me répondit-elle, sans aucune humeur ni fierté ; depuis que je n'ai plus personne, je me sers moi-même.
Le jour grandissait. Nous emportâmes nos flambeaux, et la Reine se coucha, dans un lit bien indigne d'elle , sans doute, mais que nous avions garni, du moins, de linge très fin et d'un oreiller.
Dès le matin, on plaça deux gendarmes dans la chambre de la princesse. On y mit aussi, pour la servir, une vieille femme, âgée de près de quatre-vingts ans, qui était, comme je l'ai su depuis , l'ancienne concierge de l'Amirauté, dans l'enceinte même du Palais de Justice. Son fils, âgé de vingt-quatre oïl vingtcinq ans, était l'un des porte-clés de notre prison. (On la nommait Larivière. )
Pendant les premiers quarante jours, je ne fis aucune fonction chez la Reine. J'y venais seulement, avec Madame Richard ou avec son mari, pour apporter le déjeûner, qu'on servait à neuf heures, et le dîner, qu'on servait ordinairement à deux heures, deux heures et demie. Madame Richard mettait le couvert, et, par respect, je me tenais auprès de la porte. Mais Sa Majesté daigna y faire attention, et elle me fit l'honneur de me dire : Approchez-vous , Rosalie, ne craignez pas.
La vieille Madame Larivière, après avoir rapiécé ~
et recousu fort proprement la robe noire de la Reine, fut jugée peu propre à son emploi. Elle remonta chez elle, au local de l'ancienne amirauté, et de suite on la remplaça par une jeune femme, nommée Arel, dont le mari était employé aux bureaux secrets de la police. La Reine avait témoigné de la confiance et de la considération à la vieille femme : elle ne jugea pas la nouvelle personne aussi favorablement ; presque jamais elle ne lui adressait la parole.
Les deux gendarmes (toujours les mêmes), se nommaient Dufrêne et Gilbert. Ce dernier paraissait plus rude que son camarade le brigadier. Quelquefois, Sa Majesté, accablée d'ennui, s'approcbait d'eux, pendant que nous couvrions sa table, et elle les regardait jouer, quelques instans , en présence de Madame Richard ou du concierge.
Un jour, Madame Richard amena dans le cachot son plus jeune enfant, qui était blond, qui avait des yeux bleus fort agréables, et dont la figure charmante était bien au-dessus de son état. On le nommait Fanfan.
La Reine, en voyant ce beau petit garçon, tressaillit visiblement. Elle le prit dans ses bras, le couvrit de baisers et de caresses, et se mit à pleurer, en nous parlant de M. le dauphin , qui était à-peu-près de même âge ; elle y pensait nuit et jour. Cette circonstance lui fit un mal horrible. Madame Richard, quand nous fûmes remontées, me dit qu'elle se garderait bien de ramener son fils dans le cachot.
Vers la mi-septembre, il arriva un grand malheur, qui fut bien préjudiciable à la Reine. Un officier déguisé, nommé M. de Rougeville, fut introduit dans le cachot de la princesse, par un officier municipal, appelé Michonis.'L'officier (qui était connu de la Reine), laissa tomber un œillet auprès du bas de sa robe ; et j'ouïs dire que cette fleur renfermait un papier de conspiration. La femme Arel observait tout : elle fit son rapporta Fouquier-Tinville, qui descendait, tous les soirs, avant minuit, dans la prison. Les deux gendarmes furent aussi entendus. Le gouvernement crut qu'il y avait un grand complot dans Paris pour enlever la princesse, et on donna aussitôt des ordres, plus sévères cent fois et plus terribles que par le passé. M. Richard, son épouse et leur fils aîné, furent mis en prison, et au cachot, les uns à Sainte-Pélagie, l'autre aux Madelonnettes. La femme Arel ne reparut plus. On ôta les deux gendarmes du cachot de la Reine ; et nous vîmes arriver, pour nouveau concierge du palais, le concierge en chef de la Force, nommé Lebeau.
Lebeau paraissait rude et sévère lorsqu'on le voyait pour la première fois; mais, au fond, il n'était pas méchant homme. Les administrateurs lui dirent que je demeurerais cuisinière à son service, parce qu'on n'avait aucun sujet de se méfier de moi, et que dans la maison, je ne me mêlais de rien que de ma besogne. Ils ajoutèrent, cependant, que je n'irais plus à la provision, comme du temps de Madame Richard, et que j'étais consignée dans l'intérieur de la Conciergerie, par ordre du Gouvernement, ainsi que lui geolier et sa jeune fille Victoire (aujourd'hui Madame Colson , établie à Montfort-l'Amaury ).
On décida que Lebeau répondrait, sur sa tête, de la personne de la Reine, et que lui seul aurait à sa disposition la clé du cachot. On lui ordonna de n'y entrer que pour les choses indispensables, et toujours accompagné de l'officier de gendarmerie de service, ou du brigadier.
On posa une sentinelle dans la petite Cour des Femmes, où s'éclairait la chambre de la princesse, et comme les deux petites fenêtres étaient presqu'aussi basses que le pavé, la sentinelle, en passant et en repassant, voyait, sans difficulté, toutes les actions de l'intérieur de chez la Reine.
Quoique Sa Majesté n'eût aucune communication dans la Conciergerie, elle n'ignora pas le malheur arrivé aux premiers concierges. On était venu, du comité de sûreté générale, lui faire subir à elle-même un interrogatoire sur Michonis et sur l'œillet, et je sus qu'à toutes ces questions elle avait répondu avec une grande prudence.
Lorsque Lebeau parut pour la première fois chez la Reine, je l'accompagnais, et je portais à Madame le potage ordinaire de son déjeûner. Elle regarda Lebeau, qui, pour se conformer aux manières de ce temps-là, était vêtu d'un gilet-pantalon, appelé carmagnole. Le col de sa chemise était ouvert et rabattu ; mais sa tête était découverte. Ses clés à la main , il se rangea près de la porte, contre le mur.
La Reine, ôtant son bonnet de nuit, prit une chaise, et me dit avec un son de voix aimable : Rosalie, vous allez faire aujourd'hui mon chignon. En entendant ces paroles, le concierge accourut, se saisit du démêloir , et dit tout haut, en me repoussant : Laissez, laissez , c'est à moi à faire.
La princesse, étonnée, regarda Leheau, avec un air de majesté qu'il est impossible de dépeindre. Je vous remercie, ajouta-t-elle. Et se levant aussitôt, elle ploya ses cheveux elle-même, et posa son bonnet.
Sa coiffure, depuis son entrée à la Conciergerie, était des plus simples. Elle partageait ses cheveux sur le front, après y avoir mis un peu de poudre embaumée.
Madame Arel, avec un bout de ruban blanc, d'une aûne environ, liait l'extrémité de ses cheveux, les nouait avec force, et puis donnait les deux barbes de ce ruban à Madame, qui, les croisant elle-même, et les fixant sur le haut de sa tête, donnait à sa chevelure (blonde et non pas rouge) la forme d'un chignon mouvant.
Le jour où, remerciant Lebeau, elle se détermina à se coiffer, dorénavant, elle-même, Sa Majesté prit sur sa table le rouleau de ruban blanc qui lui restait, et elle me dit, avec un air de tristesse et d'attachement qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme : Rosalie, prenez ce ruban, et gardez-le toujours, en souvenir de moi. Les larmes me vinrent aux yeux, et je remerciai Madame, en faisant une révérence.
Lorsque le concierge et moi fûmes dans le corridor, il se saisit de mon ruban, et là-haut, dans sa chambre , il me dit : « Je suis bien fâché d'avoir contrarié « cette pauvre Femme. Mais ma position est si difficile, « qu'un rien doit me faire trembler. Je ne saurais ou« blier que Richard, mon camarade, est, ainsi que « son fils et sa femme, dans un fond de cachot. Au « nom de Dieu, Rosalie, ne commettez aucune impru« dence ; je serais un homme perdu. »
Le 2 d'août, pendant la nuit, quand la Reine arriva du Temple, je remarquai qu'on n'avait amené avec elle aucune espèce de bardes, ni de vêtemens. Le lendemain , et tous les jours suivans, cette malheureuse princesse demandait du linge, et Madame Richard, craignant de se compromettre, n'osait ni lui en prêter, ni lui en fournir. Enfin, le municipal Michonis, qui, dans le cœur, était honnête homme, se transporta au Temple, et le dixième jour, on apporta du Donjon, un paquet, que la Reine ouvrit promptement. C'étaient de belles chemises de batiste, des mouchoirs àe poche, des fichus, des bas de soie ou de filoselle noirs, un déshabillé blanc pour le matin, quelques bonnets de nuit, et plusieurs bouts de ruban blanc, de largeurs inégales. Madame s'attendrit, en parcourant ce linge ; et, se retournant vers Madame Richard et vers moi, elle dit : « A la manière soignée de tout ceci, je recon« nais les attentions et la main de ma pauvre sœur « Elisabeth. »
Sa Majesté, en venant au Palais, portait son grand bonnet de deuil (sa coiffure de veuve). Un jour, en ma présence, elle dit à Madame Richard : « Madame, « je désirerais, s'il était possible, avoir deux bonnets, « au lieu d'un, afin de pouvoir changer. Aurez-vous la « complaisance de confier ma coiffure de deuil à votra « couturière ? Il s'y trouvera, je crois, assez de linon « pour établir deux petits bonnets négligés. »
Madame Richard exécuta, sans difficulté, cette commission de la princesse ; et lorsque nous lui rapportâmes ses deux nouvelles coiffures toutes simples, elle parut satisfaite, et se retournant vers moi, elle daigna me dire : « Rosalie, je ne puis plus disposer de rien ; « mais, mon enfant, je vous donne avec plaisir cette « monture de léton et ce linon-batiste, que la couturière « a rapportés. »
Je m'inclinai humblement pour remercier Madame; et je conserve encore le linon-batiste qu'elle me fit l'honneur de me donner. Je le montrai, il y a vingtneuf ou trente ans, aux dames Boze, qui venaient voir leur prisonnier à la Conciergerie ; ces dames couvrirent le débris d'étoffe de larmes et de baisers.
La Reine éprouvait une grande privation. On lui avait refusé toute sorte d'aiguilles, et elle aimait beaucoup l'occupation et le travail. Je m'aperçus qu'elle arrachait, de temps en temps, les gros fils d'une toile à tenture de papier, clouée sur des châssis, le long des murailles ; et avec ces fils, que sa main polissait, elle faisait du lacet très uni, pour, lequel son genou lui tenait lieu de coussin, et quelques épingles, d'aiguilles.
Son goût pour les fleurs avait été, de son propre aveu, une véritable passion. Dans les commencemens, nous en mettions, de temps en temps, un bouquet sur sa petite table de bois de chêne. M. Lebeau n'osa plus permettre cette douceur. Il me craignait tant, dans les premiers jours de son arrivée, qu'il fit construire un grand paravent de sept pieds de hauteur, destiné a dérober la prisonnière à mes regards, lorsque je vienilrais servir les repas ou faire la chambre. Ce paravent (que j'ai vu) n'a pourtant point fait son usage. Lebeau se contenta de celui que nous avions donné à la Reine, du temps de Madame Richard. Celui-là n'avait guères que quatre pieds d'élévation. Il formait comme un demi-rideau, le long du lit de la princesse, et il la séparait, en quelque sorte, des gendarmes, lorsqu'elle était dans la pénible nécessité de vaquer à des besoins indispensable;, pour lesquels on avait la barbarie de ne lui laisser aucune liberté.
Un forçat, nommé Rarassin, était chargé d'enlever la garde-robe; et, dans ces circonstances, Madame me priait de brûler du genièvre, pour lui changer l'air.
Le matin , en se levant, elle chaussait de petites pantoufles rabattues, et tous les deux jours, je brossais ses jolis souliers noirs de prunelle, dont le talon , d'environ deux pouces, était à la Saint-Huberty.
Quelquefois, on venait chercher le concierge pour des objets urgens et indispensables dans la prison; il me laissait alors , sous l'inspection de l'officier de gendarmerie. Un jour, quel fut mon étonnement! l'officier prit, lui-même, un des souliers de la Reine, et se servant de la pointe de son épée , il gratta la rouille humide des briques, comme je faisais, moi, avec mon couteau. Les ecclésiastiques et les seigneurs, détenus dans le préau, nous regardaient faire, à travers la grille de séparation. Voyant que cet officier de gendarmerie était un brave homme, ils me supplièrent de venir jusqu'à eux, afin de leur laisser voir de près la chaussure de la Reine. Ils la prirent aussitôt, ils se la passèrent les uns aux autres, et la couvrirent de baisers.
Madame Richard, à cause d'une Loi qui venait d'être rendue, avait caché son argenterie. La Reine était servie avec des couverts d'étain, que je tenais aussi propres, aussi clairs qu'il m'était possible.
Sa Majesté mangeait avec assez d'appétit. Elle coupait sa volaille en deux, c'est-à-dire, pour lui servir deux jours. Elle découvrait les os avec une facilité et un soin incroyables. Elle ne laissait guères des légumes , qui lui faisaient un second plat.
Quand elle avait fini, elle récitait tout bas sa prière d'actions de grâces, se levait et marchait. C'était pour nous le signal du départ. Depuis l'œillet, il m'était défendu de laisser même un verre à sa disposition. Un jour, M. de Saint-Léger, l'Américain, qui venait du greffe et allait rentrer au préau arec ses camarades, remarqua dans mes mains un verre à moitié rempli d'eau. L'eau qui manque, me dit ce Créole, est-ce la Reine qui l'a bue? Je répondis qu'oui, par un mouvement de tête. M. de Saint-Léger se découvrit à l'instant, et avala ce demi-verre d'eau avec respect et -avec délices.
Sa Majesté, comme je l'ai déjà dit, n'avait ni commode , ai armoire dans sa chambre. Lorsque sa petite provision de linge fut arrivée du Temple, elle demanda une boîte pour l'y serrer et le mettre à l'abri des poussières. Madame Richard, n'osant point faire cette demande aux administrateurs, m'autorisa à prêter un carton à la princesse, qui le reçut avec autant de satisfaction que si on lui avait cédé le plus beau meuble du monde.
Le régime des prisons, alors, ne permettait pas de donner un miroir; et Madame, tous les matins, renouvelait , à tet égard, sa demande. Madame Richard me permit de prêter ma petite glace à la Reine. Je ne l'offris qu'en rougissant. Ce miroir, acheté sur les quais, ne m'avait coûté que vingt-cinq sous, d'assignats!.... Je crois le voir encore : sa bordure était rouge, et des manières de chinois étaient peints sur les deux côtés. La Reine agréa ce petit miroir , comme une chose d'importance, et Sa Majesté s'en est servie jusqu'au dernier jour.
Tant que Madame Richard fut en place, la princesse fut nourrie avec soin , et, j'ose dire, avec distinction. On achetait ce qu'il y avait de mieux, pour elle ; et, au marché, trois ou quatre marchandes, qui reconnaissaient bien le geôlier, lui remettaient, en pleurant, les volailles les plus délicates ou les plus beaux fruits : Pour notre Reine, lui disaient-elles.
Quand la famille Richard fut mise au cachot, nous n'allâmes plus personne à la provision : c'étaient nos fournisseurs qui venaient, eux-mêmes, au Palais, et ils déployaient les provisions, pièce à pièce, dans le greffe, en présence des gens de la police où du brigadier de gendarmerie.
La Reine, en voyant servir son nouveau dîner, s'aperçut facilement que toutes choses, depuis l'œillet, étaient changées. Mais jamais elle ne laissa échapper aucune plainte. Je ne lui apportais plus que son potage et deux plats : (Tous les jours un plat de légumes, et puis de la volaille ou du veau alternativement). Mais je préparais ces choses-là de mon mieux. Madame, qui était d'une propreté, d'une délicatesse excessive, regardait mon linge, toujours blanc, et par son regard, semblait me remercier de cette attention que j'avais pour elle. Quelquefois, elle me présentait son verre, afin que je lui servisse à boire. Elle ne buvait que de l'eau, même à Versailles, comme elle nous le rappelait quelquefois. J'admirais la beauté de ses mains, dont l'agrément et la blancheur étaient au-dessus de tout ce qu'on pourrait dire.
Sans déranger sa table, elle se placait, entre cette table et son lit. Je regardais, alors, l'élégance de tous ses traits, qu'éclairait parfaitement la croisée, et j'y remarquai, un jour, ça et là, quelques marques de petite-vérole, très adoucie, et pour ainsi dire imperceptible , qu'on n'apercevait plus à quatre pas.
Du temps de Lebeau, Madame se coiffait, chaque jour, devant lui et moi, pendant que je faisais son lit, et que je ployais sa robe sur une chaise. Je remarquai des places de cheveux blancs sur les deux tempes. Il n'y en avait presque point sur le front, ni dans les autres cheveux. S. M. nous raconta que c'était le trouble du 6 octobre, à Versailles.
Madame de La Marlière (qui vit encore et habile Paris) m'avait priée, plusieurs fois, du temps de Madame Richard, de lui procurer des cheveux de la Reine, pour en orner un médaillon. Cela m'aurait été facile, car Sa Majesté, de temps en temps, rafraîchissait sa chevelure. Après l'événement de l'œillet, Madame de La Marlière fut long-temps sans pouvoir être admise à revoir son mari, qui était prisonnier.
Avant la disgrâce de la famille Richard, la Reine était blanchie par Madame Saulieu, notre blanchisseuse ordinaire , laquelle demeurait à deux pas de l'archevêché. Après l'accident funeste de l'œillet, notre blanchisseuse ne revint plus. Le greffier du tribunal révolutionnaire s'empara du linge de corps de la princesse , moins les bonnets et les fichus, et il paraît qu'on ne lui redonnait ses chemises qu'une à une, et de loin à loin.
Le chagrin, le mauvais air, le défaut d'exercice , altérèrent la santé de la Reine. Son sang s'échauffa. Elle éprouva de grandes hémorragies ; je m'en étais apercue ; elle me demanda secrètement des linges, et aussitôt, je coupai mes chemises, et je mis ces linges sous son traversin.
Le quatrième ou cinquième jour de son.arrivée à la Conciergerie, les administrateurs lui prirent sa montre , qu'elle avait apportée d'Allemagne, lorsqu'elle vint chez nous pour être Dauphine. Je n'étais pas auprès d'elle, quand on lui fit ce chagrin ; mais Madame Richard en parla dans notre chambre , et dit qu'elle avait beaucoup pleuré, en livrant cette montre d'or.
Par bonheur, les commissaires ne savaient pas qu'elle portait un médaillon ovale, fort précieux, attaché à son cou, au moyen d'une petite gance noire. Ce médaillon renfermait des cheveux bouclés, et le portrait du jeune Roi. Il était ployé dans un petit gant de peau canarie, qui avait été à l'usage de M. le Dauphin.
La Reine, en venant du Temple, conservait encore deux jolies bagues de diamans, et son anneau de mariage. Ces deux brillans étaient, sans qu'elle y pensât, une espèce d'amusette pour elle. Assise et rêveuse, elle les otait, elle les remettait, elle les passait d'une main à l'autre plusieurs fois dans un même moment. A l'occasion de l'œillet, on fit plusieurs visites dans sa petite chambre. On ouvrit son tiroir ; on fouilla dans son linge ; on fouilla sur elle-même ; on culbuta ses chaises et son lit. Ces mauvais sujets ayant vu briller les dlama us de ses deux bagues, les lui enlevèrent; et on lui dit qu'elles lui seraient restituées, quand tout serait fini.
Ces visites générales eurent lieu, depuis, dans son cachot, à toutes les heures du jour, et même de la nuit. Les architectes et les administrateurs visitaient, à chaque instant, la solidité des barreaux de fer et des murailles. Je les voyais dans des perplexités continuelles. Ils disaient entr'eux : Pourrait-elle pas s'écliapper par ici, s'échapper par-là? Ils ne nous laissaient, et n'avaient pas eux-mêmes, un seul instant de relâche.
Par crainte de quelqu'infidélité du dedans, ou de quelque surprise du dehors, ils étaient sans cesse autour de nous, dans la Conciergerie. Ils mangeaient, sans façons, à la table du Concierge: et, tous les jours, il me fallait préparer un grand ordinaire pour quinze et dix-huit de ces gens-là.
J'avais ouï-dire à Madame Richard : La Reine ne s'attend pas à être jugée. Elle conserve l'espoir que ses Parens vont la réclamer ; elle me l'a dit avec une franchise tout-à-fait charmante. Si elle nous quitte, Rosalie, vous serez sa femmo-de-chambre : elle vous emmènera.
Après l'œillet, cette princesse me parut inquiète et plus alarmée, de beaucoup. Elle réfléchissait et soupirait, en allant et venant dans le cachot.
Un jour, elle remarqua, en face de ses petites croisées, dans une chambre grillée de fer, une prisonnière qui joignait ses mains, et levait ses yeux vers le ciel, en prononçant des prières. Rosalie, me dit cette grande et bonne princesse, regardez, là-haut, cette pauvre religieuse. Avec quelle ferveur elle prie le bon Dieu !
La religieuse, assurément, priait Dieu pour la Reine. C'était l'occupation de ces dames, tout le long du jour.
Mon père vint de ma province pour me voir. Comme on ne laissait plus entrer personne depuis la conspiration de l'œillet, il eut toutes les peines du monde à parvenir jusqu'à moi; on l'accompagna jusqu'à ma chambre. M. Lebeau lui dit : « Il m'est défendu de re« cevoir et de permettre aucunes visites; ma propre fa« mille n'entre pas. Ne soyez avec votre fille que « quatre ou cinq minutes, bonhomme, et ne revenez « plus. » Je ne pus pas même offrir un rafraîchissement à mon père; et lui montrant un poulet qui était à la broche, je lui dis tout bas : C'est pour la pauvre Reine, que nous avons ici. Mon père soupira ; et nous nous séparâmes.
Un jour, en faisant le lit de la princesse, je laissai tomber un journal du matin, que j'avais mis sous mon fichu ; et je m'en aperçus, lorsque nous fûmes remontés dans nos chambres. Toute troublée, je l'avouai à M. Lebeau. Il se troubla bien davantage, car il était peureux naturellement. Allons vite, me dit-il, allonsj retournons au cachot. Prenez cette carafe d'eau claire, que nous changerons contre l'autre :je ne vois pas d'autre moyen à nous tirer de là.
Il fallut avertir, de nouveau, les gendarmes ; nous nous rendîmes chez la Beine, et je retrouvai mon journal , qu'elle n'avait pas aperçu.
Autant la Reine avait éprouvé de mal-aise pendant les châleurs du mois d'août, autant elle eut à souffrir du froid et de l'humidité, les 15 premiers jours d'octobre. Elle s'en plaignait avec douceur; et moi, je ressentais un chagrin mortel de ne pouvoir adoucir sa souffrance. Le soir, je ne manquais pas de prendre .sa camisole de nuit sous son traversin. Je montais vite chez nous pour la bien réchauffer ; et puis, toute brûlante, je la replaçais sous le traversin de la Reine, ainsi que son grand fichu de nuit.
Elle remarquait ces petites attentions de ma fidélité respectueuse, et son regard, plein d'affabilité, me remerciait, comme si j'avais fait autre chose que mon devoir. On ne lui avait jamais accordé ni lampe, ni flambeau: et je prolongeais, autant que possible, le petit ménage du soir, afin que ma respectable Maîtresse fût . un peu plus tard dans la solitude et l'obscurité. Elle n'avait, ordinairement, pour entrer dans son lit, que la faible clarté que lui renvoyait, de loin, le réverbère de la cour des femmes.
Le 12 d'octobre, deux heures environ après son coucher , les juges du Tribunal vinrent lui faire subir le grand interrogatoire, etle lendemain, quand j'entrai chez elle, pour faire son lit, je la vis qui se promenait rapidement dans sa pauvre cellule. J'avais le cœur brisé, je n'osai point porter mes regards sur elle.
Depuis quelques jours, elle n'était plus seule, on avait mis un officier, pour la garder, dans son cachot.
Enfin, arriva l'affreuse journée du 15 octobre. Elle monta dès les huit heures du matin à la salle des Audiences, pour y subir son jugement; et comme je ne me rappelle pas lui avoir porté, ce jour-là, aucune espèce de nourriture, il est à croire qu'ils la firent monter à jeûn.
Dans la matinée, j'entendis quelques personnes qui s'entretenaient de l'audience. Elles disaient : MarieAntoinette s'en retirera : elle a répondu comme un ange; on ne fera que la déporter.
Vers les quatre heures après-midi, le concierge me dit :« La séance est suspendue pour trois quarts-d'heure. « L'Accusée ne descend pas; montez vîte; on demande « un bouillon. » Je pris à l'instant une excellente soupe, que je tenais en réserve sur mon fourneau, et je montai vers la princesse. Comme j'allais arriver dans une salle, auprès d'elle, un des commissaires de police, nommé La Buzière (qui était petit et camard), m'arracha ma soupière des mains, et la donnant à sa maîtresse, jeune femme extrêmement parée, il me dit : Cette jeune femme a grande envie de voir la preuve Capét\, c'est une charmante occasion pour elle. Et cette femme aussitot s'éloigna, portant le potage, à moitié répandu.
J'eus beau prier et supplier La Buzière. Il était tout puissant : il me fallut obéir. Que dut penser la Reine, en recevant sa soupière, des mains d'une personne qu'elle ne connaissait pas !
A quatre heures quelques minutes , du 16 octobre au matin, on vint nous avertir que la Reine de France était condamnée!!... Je sentis comme une épée qui aurait traversé mon cœur, et j'allai pleurer dans ma chambre, en étouffant mes cris et mes sanglots. Le concierge apprit cette condamnation avec peine; mais il était plus habitué que moi à toutes ces choses : il fit semblant de n'y prendre aucune part.
Vers les sept heures du matin, il me commanda de descendre chez la Reine, et de lui demander si elle avait besoin de quelqu'aliment. En entrant dans le cachot, où brûlaient deux lumières, j'aperçus un jeune officier de gendarmerie assis dans l'angle de gauche, et m'étant approchée de Madame, je la vis, toute habillée de noir, étendue sur son lit.
Le visage tourné vers la fenêtre, elle appuyait sa tête sur sa main. Madame, lui dis-je en tremblant, vous n'avez rien pris hier au soir, et presque rien dans la journée. Que désirez-vous prendre, ce matin? La Reine versait des larmes en abondance, elle me répondit : Ma fille, je n'ai plus besoin de rien : tout est fini pour moi. Je pris la liberté d'ajouter: « Madame, j'ai conservé sur mes fourneaux un bouillon et un vermicel. Vous avez besoin de vous soutenir : permettez-moi de vous apporter quelque chose. »
Les pleurs de la Reine redoublèrent, elle me dit : Rosalie, apportez-moi un bouillon. J'allai le chercher. Mais quelle fut ma consternation ! Le Gouvernement venait d'ordonner qu'on lui refusât toute espèce de nourriture !!!... J'avais eu lieu de me convaincre qu'elle perdait tout son sang ! ! !
Un peu avant le jour déclaré, un ecclésiastique, autorisé par le gouvernement, se présenta chez la Reine, et lui offrit de l'entendre en confession. S. M. apprenant de lui-même qu'il était un des curés de Paris, en exercice, comprit qu'il avait prêté le serment ; et elle refusa son ministère. On parla de cette circonstance dans la maison.
Lorsque le jour fut venu, c'est-à-dire à peu près vers les huit heures du matin, je retournai chez Madame , pour lui aider à s'habiller, ainsi qu'elle me l'avait indiqué lorsqu'elle fondait en larmes, sur son lit. Sa Majesté passa dans la petite ruelle que je laissais ordinairement entre ce lit de sangles et la muraille. Elle déploya, elle-même, une chemise qu'on lui avait apportée , probablement en mon absence, et m'ayant fait signe de me tenir devant son lit pour ôter la vue de son corps au gendarme, elle se baissa dans la ruelle, et abattit sa robe, afin de changer de linge, pour la dernière fois. L'officier de gendarmerie s'approcha de nous à l'instant, et se tenant auprès du traversin, regarda changer la princesse. S. M. aussitôt remit son fichu sur ses épaules, et avec une grande douceur, elle dit à ce jeune homme : Au nom de l'honnêteté, Monsieur, permettez que je change de linge sans témoin.
— « Je ne saurais y consentir, répondit brusquement le gendarme : mes ordres portent que je dois avoir l'œil sur tous vos mouvements. »
La Reine soupira ; passa sa dernière chemise avec toutes les précautions et toute la modestie possible ; prit pour vêtement, non pas sa longue robe de deuil qu'elle portait encore devant ses juges, mais le déshabillé blanc qui lui servait ordinairement de robe du matin, et déployant son grand fichu de mousseline, elle le croisa sous le menton.
Le trouble que me causait la brutalité du gendarme ne me permit point de remarquer si la princesse avait encore le médaillon de M. le Dauphin ; mais il me fut aisé de voir qu'elle roulait soigneusement sa pauvre chemise ensanglantée,- elle la renferma dans l'une des manches, comme dans un fourreau, et puis elle serra ce linge dans un espace qu'elle aperçut entre l'ancienne toile à papier et la muraille.
La veille, sachant qu'elle allait paraître devant le public et devant des juges, elle donna, par bienséance, un peu d'élévation à ses cheveux. Elle ajouta aussi à son bonnet de linon, bordé d'une petite garniture plissée, les deux barbes volantes qu'elle conservait dans le carton ; et sous ces barbes de deuil, elle avait ajusté proprement un crêpe noir, qui lui faisait une jolie coiffure de veuve.
Pour aller à la mort, elle ne garda que le simple bonnet de linon : sans barbes, ni marques de deuil. Mais n'ayant qu'une seule chaussure, elle conserva ses bas noirs et ses souliers de prunelle, qu'elle n'avait point déformés, ni gâtés, depuis soixante-et-seize jours qu'elle était avec nous.
Je la quittai, sans oser lui faire des adieux, ni une seule révérence, de peur de la compromettre et de l'affliger. Je m'en allai pleurer dans mon cabinet, et prier Dieu pour elle.
Lorsqu'elle fut sortie de cette affreuse Maison, le premier huissier du tribunal, accompagné de trois ou quatre personnes de son même emploi, vint me demander chez le concierge, et m'ordonna de le suivre jusqu'au cachot. Il me laissa reprendre et mon miroir, et le carton. Quant aux autres objets, qui avaient appartenu à S. M., il me commanda de les serrer dans l'un des draps de lit. Ils m'y firent ployer jusqu'à une paille, qui se trouva, je ne sais comment, sur le pavé de la chambre ; et ils emportèrent cette misérable dépouille de la meilleure et de la plus malheureuse Princesse qui ait jamais existé.
JV. B. — Environ dix ou onze jours avant le jugement , on avait mis auprès d'elle, dans le cachot, un Officier de gendarmerie, en qui elle me paraissait avoir beaucoup de confiance. On le nommait M. de Bûne. C'est le même qui, pendant les débats, lui apporta un verre d'eau ; ce qui lui attira de grandes persécutions, il fut arrêté, et jugé.
Depuis peu, on m'a montré son portrait dans un appartement des Quatre-Nations. Il est fort ressemblant : je l'ai reconnu à la première vue. »
Fin de la Relation de Rosalie.
Commentaires
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1 Fabrice Le 18/08/2010
Ce récit est touchant. Je connais assez bien le personnage de Marie-Antoinette et j'y suis attaché depuis longtemps. Un personnage riche en couleurs. La jeunesse, la frivolité, la maternité, l'entrée en politique, les petits complots et les larmes. Elle n'est ni un monstre ni une sainte. Il est parfois difficile de faire la part des choses. Mais ce qui m'attriste le plus c'est ce qu'a pu endurer cette femme par la séparation d'avec ses enfants. Se savoir condamnée à mort, devoir en toute impuissance laisser les siens dans des mains si hostiles. Les années fastes de Versailles et les erreurs si humaines soient-elles ont été payées au prix fort. La lettre qu'elle nous a laissé au matin du 16 octobre en témoigne. Pour cela je reste a la fois très respecteux et très admiratif. Une fois encore, je vous dirais
aurevoir "Madame". Et merci Rosalie, pour cet ultime témoignage. -
2 ludovic Le 27/11/2009
Un livre intitulé Rosalie Lamorlière, ou la dernière servante de Marie-Antoinette paraîtra dans quelques semaines. L'auteur a fait un traavail en Archives pour retrouver la trace de Rosalie et nous raconter ce qu'a été sa vie.
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